mardi 14 février 2012

Syrie : Le cri du coeur de Bernard Guetta

Vendredi dernier, dans sa chronique quotidienne intitulée "Géopolitique", Bernard Guetta a dénoncé de façon très poignante la situation intenable en Syrie. Voici la retranscription de son texte...

"Guernica en Syrie 

Il n'y a bien sûr pas que la Syrie. Jusqu'en Europe, jusqu'en France, la misère et le désespoir ne sont que trop présents partout, mais entre la plus odieuse des misères et le massacre organisé d'un peuple par son propre gouvernement, il y a toute la différence entre l'injustice et la barbarie. Hier, les soldats... Non. Pas les soldats. Les tueurs de Bachar El-Assad en étaient à leur sixième jour de pilonage de la ville de Homs, centre industriel et troisième ville du pays. Pour la sixième journée consécutive et sans doute pas la dernière, [courte pause] ils écrasaient sous les bombes des quartiers entiers, des maisons, des immeubles, dont les occupants ne peuvent pas même fuir, puisque Homs est cernée, que les tueurs tirent sur tout ce qui bouge, hommes, femmes, enfants et vieillards. 

On ne compte plus les blessés ; on dit 60 morts tel jour, 100 tel autre, mais qui va lever les décombres et compter les cadavres ? Les bilans, ce sont les corps que l'on voit, projetés sur les chaussées, les enfants tués dans les bras de leur mère qui avait préféré leur faire tout risquer plutôt que l'ensevelissement... Les bilans ne veulent rien dire. Car c'est en un mot Guernica, la ville martyre de la guerre d'Espagne, elle aussi délibérément anéantie sous les bombes en 1937, mais Guernica fois six, six jours déjà de Guernica.

Alors, comment dire. [courte pause] Comment dire une ville qui n'a plus rien, ni médicaments, ni pansements, ni nourriture, ni électricité, comment dire les tentatives d'opération sans anesthésie bien sûr dans des caves où ceux des médecins qui ont échappé aux tueurs tentent malgré tout, contre tout, de sauver des vies, tandis que d'autres blessés se vident de leur sang, sans que personne ne puissent rien pour eux. Comment dire les pleurs, les cris, les gosses hallucinés dont les parents viennent de voir [pause] mourir, déchiquetés sous leurs yeux, leurs parents. 

Cet assassinat collectif et proclamé d'une ville, que ces sauvages veulent plus que briser. Ils veulent la décimer, la noyer dans le sang, la tor-tu-rer, car elle est la capitale de l'insurrection syrienne, celle qui n'a jamais cédé, jamais reculé et dont il faut pouvoir brandir la tête pour faire un exemple, et tenter d'intimider la Syrie entière. Au point où sont ces tueurs, qu'importe pour eux que le monde sache. Ils ont déjà de quoi cent fois justifier cent condamnations à perpétuité devant la Cour Pénale Internationale. Ils n'ont plus rien à perdre et veulent au contraire, pour décourager de nouvelles manifestations dans d'autres villes, que le monde sache afin que les télévisions satellitaires répercutent cette tuerie jusque dans chaque foyer syrien.

A ce degré d'horreur, on ne sait plus... On en viendrait presque à souhaiter qu'ils gagnent pour que cela cesse mais s'ils gagnaient, leur vengeance serait plus effroyable encore et les deux seuls espoirs sont donc que les désertions deviennent vraiment massives, et que malgré la Chine, l'Iran et la Russie, malgré les complices de ce crime, l'Europe, la Turquie, les Etats-Unis et la Ligue arabe trouvent les moyens de faire reculer l'assassin de Damas. Mobilisés, leurs gouvernements s'y essaient, mais l'heure tourne, et Homs se meurt..."

Bernard Guetta

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire