jeudi 5 janvier 2012

Fils, voici ton héritage... - 4

6:00. Bon cette fois ça devrait aller. J'ai fait une exception pour ce matin. Encore une fois. J'ai avalé mon repas lyophilisé du midi avec quelques heures d'avance. Je reprendrai une portion parmi le stock du magasin qui est mis à disposition des employés. Comme j'avais un peu d'avance par rapport au mois dernier et grâce aux points de qualité positifs que j'ai engrengés en décembre, je peux me le permettre. Il va bien falloir que je me décide à aller voir le médecin à force. Je vais finir par avoir du mal à cacher ces malaises répétés à ma hiérarchie. Et après ? Je suis pas certaine d'avoir envie de savoir. Non. En fait, je crois que je sais déjà. Et puis, si c'est bien ce que je pense, le médecin préviendrait immédiatement les autorités. On peut pas lui en vouloir, c'est son job après tout. On est trop nombreux, ils arrêtent pas de le répéter, aux infos. Et moi, j'irai en camp de réhabilitation, au mieux, un peu comme ma fille. Et elle, qu'est-ce qu'elle deviendrait ?

6:10. J'aurais pas dû autant réfléchir à ces histoires. Ça m'aurait éviter de me rendre compte de la situation dans laquelle je me suis mise. Et lui alors ? Il pourrait m'aider, son père. Quel choix j'ai ? Le déni et advienne que pourra, peu importe les conséquences ; l'acceptation et purger ma peine pour ensuite revenir ici, s'ils veulent encore de moi ; la fuite dans le monde des ombres, celle que je souhaite pour ma fille, après tout, mais celle que je ne suis pas prête à accepter. Il va falloir décider, ça fait une semaine que c'est ce que je me dis. Il va falloir décider. Je ne veux pas décider, c'est trop dur. Le choix est trop dur, les alternatives sont trop dures. Je ne veux pas décider.
 - 老闆,也不會哭了... ...
Merde. J'ai encore chialé en public. Je vais encore devoir me justifier. Je vais encore devoir parler de ma fille et du centre éducatif fermé. Encore. Les gens s'en foutent, mais ça permet de ne pas parler d'autre chose. D'autre chose qui serait répréhensible. En tout cas, pas mal plus que la critique de la religion par une gamine de huit ans. 

6:20. Pendant combien de temps encore je vais pouvoir faire semblant ? Pendant combien de temps encore je vais pouvoir retenir mes larmes jusqu'aux cabines d'expulsion ? J'ai tellement chialé que j'ai vomis. C'était bien la peine, une ration de perdue. Bon... Respiration contrôlée... Concentration maximale avant de sortir... Rien ne doit plus transparaître aujourd'hui. A force, ils pourraient me dénoncer à ceux du dessus. La seule raison qui les pousse pour l'instant à ne pas le faire, c'est qu'ils n'ont pas encore assez de points de qualité positifs pour ensuite prendre ma place. Et s'ils dénoncent sans pouvoir se substituer, ils seront virés, tout simplement. Chacun lutte pour sa survie, c'est la règle, je ne peux pas leur en vouloir. Je vais préparer les rapports de rendement pour la semaine. Aujourd'hui ou demain, c'est pareil. C'est toujours la même chose. Les objectifs sont discrètement relevés d'un cran à chaque fois. Je ferais ça aussi pour l'équipe d'après. Ça me permettra de rester assise quelques heures, et d'arrêter de réfléchir...

6:30. J'y arrive pas. J'ai mal, un peu. Les cocktails de médicaments, de compléments alimentaires et d'aliments lyophilisés, ça doit pas aider non plus. Et bien sûr j'ai pas le droit aux kits spéciaux, vu qu'ils sont disponibles que sur autorisation par un médecin agréé par le gouvernorat. Le médecin. Peut-être que si j'y vais par moi-même en me croyant malade, ils verront que j'ai pas fait exprès. Ça peut marcher, après tout, tous les hommes ne sont pas encore stériles après 35 ans. Même dans mon quartier, ce genre de choses ça arrive. Même chez les "colorés", ça arrive. Sauf que eux, ils ont les moyens que ça ne se sache pas. J'ai mal, un peu. J'ai faim, encore. De toute façon, je vois pas pourquoi je changerai d'alimentation, vu que je vais le perdre. De toutes façons, peu importe l'issue, je me suis préparée à le perdre. La préparation, c'est la clé, comme ils disent sur Coaching TV. Quand on y est préparé, on peut tout surmonter... Je me demande à quel point j'y arriverai, moi.

__________________________________________________________________
1999 : À Bonn (Allemagne), les représentants de 163 pays débattent de la mise en œuvre du protocole de Kyoto lors de la 5e Conférence sur les changements climatiques (COP 5).
Deuxième condition d'entrée en vigueur du protocole : tous les pays l’ayant ratifié doivent émettre au total au moins 55 % des émissions de CO2 de 1990 (condition atteinte le 18 novembre 2004 avec la ratification par la Russie).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire